15/06/2012

Le sang et la discrimination

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Ainsi donc le gouvernement annonce la fin de la "discrimination" subie par les homosexuels hommes sur les dons du sang.

Ainsi donc le gouvernement annonce que les dons du sang seront dorénavant ouverts aux homosexuels hommes. Tout le monde s'en réjouit, personne ne s'étonne qu'un gouvernement décide à la place des scientifiques et des médecins, tout le monde parle de la fin d'une "discrimination" et, ce matin, le journaliste de France 2 qui interroge Bertrand Delanoë sur ce sujet parle des dons du sang "pour" les homosexuels.

D'abord, une évidence: le don du sang n'est pas conçu "pour" les donneurs mais "pour" les receveurs. Le don du sang n'est pas destiné à soigner les états d'âme des donneurs. Ainsi de nombreuses catégories de personnes sont "discriminées" et ne peuvent donner leur sang: les mineurs, les gens du troisième âge, les malades, ceux qui se font des tatouages ou des piercings dont on n'est pas sûr de la qualité sanitaire, ceux qui ont des traces d'hépatites, les prostitué(e)s, les gens parlant de conduites sexuelles considérées comme à risques dans les questionnaires, etc. Tous ces gens pourraient parler de discrimination: est-ce que vraiment le don du sang d'un homme de 65 ans est de moins bonne qualité que celui d'un donneur de 60? N'est-ce pas une insupportable discrimination envers les "vieux" au moment même où on demande aux gens de travailler plus longtemps?

Ensuite, une seconde évidence. Ces "discriminations" sont destinées à éliminer autant que faire se peut du sang qui pourrait être contaminé par des maladies infectieuses. Car, pour le sida, par exemple, il existe une "période d'ombre" de deux ou trois mois pendant laquelle le virus n'est pas détectable par les analyses de sang. Soyons clairs: un donneur détecté séronégatif le 1er septembre est peut-être séropositif et ça ne se verra que le 1er décembre au plus tard.

Les responsables de transfusion sanguine en France, alors même que les besoins en sang montent sans cesse, estiment donc nécessaire d'écarter des dons du sang les homosexuels hommes car les études actuelles montrent que les jeunes hommes homosexuels sont 200 fois plus souvent séropositifs que les jeunes hommes hétérosexuels.

Le risque serait donc trop grand pendant la zone d'ombre de 3 mois. Ajoutons que cette zone d'incertitude des tests existe bien sûr à chaque fois qu'une personne donne son sang, de trois mois en trois mois.

Outre les tests ("il faut les renforcer" disait à tout hasard Bertrand Delanoë ce matin), les responsables de la transfusion sanguine estimaient donc, jusqu'à aujourd'hui, que des populations ayant statistiquement des comportements plus à risques que d'autres catégories de la population devaient être écartées. D'autres pays, déjà, n'écartent pas les homosexuels hommes.

Pourtant, les esprits libres s'étonneront. D'abord, le principe de précaution est inscrit dans la constitution et il est appliqué par les responsables de la transfusion sanguine qui, régulièrement, rediscutent et adaptent au mieux les principes à mettre en oeuvre pour sécuriser les dons du sang au maximum. Si l'on a bien compris ce que raconte le gouvernement, ces scientifiques et ces médecins, collectivement, pratiquaient une discrimination envers les homosexuels. on attend logiquement les poursuites devant les tribunaux contre une telle discrimination qui, en plus, a pour effet de réduire les dons du sang...

Bien sûr, la question ne sera pas posée. Comme en URSS à la belle époque, on applique des principes politiques (pas de discrimination envers les les homosexuels!) à des questions scientifiques. Les médecins de la transfusion sanguine avaient peut-être tort. On aimerait que des scientifiques nous expliquent pourquoi. Mais la question ne sera pas posée. C'est vrai qu'on ne peut la faire tenir dans les 140 signes d'un twitt!

Didier Specq

Commentaires

Que de mauvaise foi ! Comment pouvez-vous, de bonne foi, mêler ainsi des discriminations de nature si différentes ?
La question de la prévalence, en l'espère, ne justifie pas une telle discrimination puisque que ce n'est pas en étant un homme homosexuel que l'on risque d'être séropositif, mais en ayant été exposé au VIH (par des pratiques à risques notamment).
Il ne s'agit donc pas ici de constater, mettons, une prédisposition génétique d'une partie de la population à développer une maladie et donc à cibler cette population dans le cadre d'une campagne de santé publique, fondée sur ce critère (prenons le cas du dépistage du cancer du sein, par exemple), mais bel et bien d'exclure des personnes sur le seul motif de leur orientation sexuelle et non des pratiques à risques.
Au nom de quoi exclut-on, par exemple, des hommes homosexuels du don du sang en relation monogame prolongée et protégée, mais pas des hétérosexuels plus volages (pas de jugement de valeur, juste une tournure) ?
Il ne s'agit pas tant ici de seul respect des donneurs mais bel et bien de respect des receveurs également. Je ne comprends pas pourquoi une personne ayant besoin d'une transfusion ne peut plus recevoir mon sang maintenant uniquement parce que la personne que j'aime s'avère être un homme, surtout que je suis bien moins "à risque" dans cette relation que dans les précédentes (mais acceptées car hétérosexuelles...).

Par ailleurs, le critère "scientifique" n'a ici que la valeur que vous souhaitez lui donner, puisqu'en la matière vous trouverez également des médecins en faveur de l'ouverture du don du sang, d'autres qui vous rappelleront que le critère de prévalence est infondé dans ce cas précis. J'ai par exemple pu discuter à plusieurs reprises avec des médecins dans les centres EFS où je me suis rendu, qui déploraient cette attitude du Ministère de la Santé. Pourquoi ne pas penser dès lors que cette position discriminante appliquée jusqu'ici est politique contre l'avis des scientifiques & médecins ?
Par ailleurs, les médecins sont des humains comme les autres, avec leurs préjugés et leurs stéréotypes, laissant parfois ceux-ci s'exprimer au détriment de la raison. Doit-on, par exemple, considérer que nous avons dans le monde des « races inférieures », que les femmes sont plus limitées intellectuellement, ou que les électrochocs sont le meilleur moyen de guérir des psychopathologies (réelles ou supposées telles), tout cela uniquement parce que des médecins l'ont dit, pensé, et fait passer pour vérité ?
NON, et heureusement.

S'il-vous-plaît, ne jouez pas au « je suis politiquement incorrect car je dis la vérité » en vous contentant de rabâcher des arguments fallacieux, ou du moins biaisés par une lecture limitée du sujet dont il est question.

Écrit par : Luc | 15/06/2012

Cher Luc,

Vous avez peut-être raison et les responsables de la transfusion sanguine en France avaient peut-être tort.

Mais j'aurais aimé qu'en juin 2012, dans un pays moderne, les dirigeants de la transfusion sanguine (scientifiques et médecins) m'expliquent pourquoi ils ont eu tort de "discriminer" les homosexuels hommes jusqu'ici et pourquoi, après de nouvelles études, il faut dorénavant recevoir les dons du sang des homosexuels hommes.

Certes, dans le passé, des médecins ou des scientifiques se sont trompés souvent. Mais ceux qui n'y connaissent rien en médecine (comme les hommes politiques ou les idéologues) se trompent encore plus souvent, non?

D'ailleurs, lorsque vous serez malade, je suis sûr que vous irez voir un médecin et pas un homme politique ou un militant de telle ou telle cause.

Didier Specq

Écrit par : didier specq | 15/06/2012

Cher Didier,

Je suis également interdit de don du sang à cause d'une ALD bénigne, ce qui fait que n'ayant pas fréquenté les centres de transfusion depuis longtemps, j'avoue que j'ignorais l'interdiction générale pesant sur les hommes homosexuels.

Le principe de précaution est si proche de phénomènes d'hystérie collective et tellement générateur de règles liberticides qu'on ne s'en méfie jamais trop.

Dans le cas du sang, on sait que l'on en manque. J’imagine que même si le risque induit par le comportement de certains homosexuels est supérieur à la moyenne, cela ne veut pas dire que tous les homos, ou même leur majorité, sont porteurs de maladies les rendant infréquentables aux malades et blessés.

Ceci dit, j'approuve votre billet :

D'abord vous avez le courage de poser une question sérieuse sans vous soucier que l'on crie à la stigmatisation, ce qui n'a pas raté.

Mais surtout, comment ne pas être stupéfait en observant que, pour complaire à une minorité, un gouvernement peut changer de politique sans crier gare sur un sujet aussi sérieux.

Ce genre de comportement relève de la même sottise démagogique que la farce sarkozyste sur le génocide arménien, en s'appuyant sur le même mode de chantage à la bienpensance : qui peut être contre pareille mesure, sauf à passer pour le réac intolérant de service.

Et c'est comme ça, cher Didier, que vous risquez de devenir le Zemmour du sang contaminé...

Écrit par : Edouard d'Erf | 18/06/2012

Cette "discrimination" est l'arbre qui cache la forêt. La probabilité pour que les lots de sang soient contaminés par le VHC est bien plus importante tant la cohorte des VHc est sans commune mesure avec celle des VIH. Mais de cela on ne parle jamais.

Quand un VIH va chez le dentiste, certains dentistes le regardent de travers. Ce regard renseigne davantage sur les mauvaises pratiques des praticiens concernés que sur le risque que fait encourir ce patient VIH. Pour des raisons de productivité et d'argent, des dentistes n'hésitent pas à faire l'impasse sur les précautions fixées par la loi. Et c'est vrai à Lille notamment. Et alors le risque de contracter le VHC est considérable. De même, pour une intervention chirurgicale, comme au CHU, où on fait passer les VIH en fin de liste. Cela renseigne aussi sur les mauvaises pratiques qui se sont développées ces dernières années sous prétexte de rentabilité.

Écrit par : prof | 21/06/2012

Chers tous,

Je vous remercie de vos commentaires. Ceci dit, depuis la rédaction de ce papier, deux informations complémentaires intéressantes me sont parvenues.

D'abord, comme souvent, les journalistes ont simplifié un peu abusivement. Marisol Touraine, la ministre des affaires sociales et de la santé, a expliqué que "les homosexuels hommes devraient bientôt être autorisés à donner leur sang". Elle explique ensuite: "on peut et on doit revoir cette politique. La sécurité doit être assurée, il n'est pas question de prendre le moindre risque en termes de transfusion, mais le critère ne peut être l'inclination sexuelle". On constate donc en fait une certaine prudence et, dans les milieux médicaux, contrairement aux commentaires journalistiques, on estime que, bien sûr, les pratiques du don du sang doivent être réévaluées régulièrement (elles le sont d'ailleurs régulièrement y compris en ce qui concerne le don du sang par les homosexuels hommes) mais que rien n'est décidé encore par les instances responsables en matière médicale.

Nous sommes donc rassurés: nous ne sommes pas revenus au temps de l'URSS où il arrivait que les politiques tranchent des questions scientifiques.

Deuxième information. Selon le journalistes spécialisé Eric Favereau et Libération, entre 2008 et 2010, 28 personnes ayant donné leur sang étaient contaminées à leur insu par le sida et les tests n'avaient pas eu le temps (la fameuse zone d'ombre) de "voir" les anticorps typiques de la réaction à la pénétration du virus. 14 de ces donneurs étaient homosexuels. Les imbéciles diront: "Vous voyez bien! Si 14 donneurs étaient homosexuels, ça veut dire que les 14 autres étaient hétéros. Donc, les risques sont les mêmes!".

Eh bien, pas du tout! Dans la population globale, les homosexuels hommes ne représentent au maximum que 5 à 10% de la population homme globale. Et, par ailleurs, s'ils sont homos, ils n'auraient pas dû donner leur sang. Il s'agit donc d'un pourcentage infime de la population...

On voit donc bien qu'un pourcentage faible de la population peut, en donnant son sang, changer la donne. Même "discrimination", répétons-le, pour les populations qui ont voyagé en Afrique, pour les toxicomanes ou, comme le répétait aussi Edouard d'Erf sur ce blog, pour d'éventuels donneurs présentant des "traces" d'une maladie.

Pour finir, ajoutons que l'article de "Libé" commençait par: "Serait-ce la première bêtise de Marisol Touraine, ministre de la santé?". Bêtise! Je n'aurais pas osé! On voit donc que je ne suis pas le seul à avoir des doutes. Et me retrouver en compagnie d'Eric Favereau me convient tout à fait.

Didier Specq

Écrit par : didier specq | 22/06/2012

"Dans la population globale, les homosexuels hommes ne représentent au maximum que 5 à 10% de la population homme globale. Et, par ailleurs, s'ils sont homos, ils n'auraient pas dû donner leur sang. Il s'agit donc d'un pourcentage infime de la population... "

Cela me fait toujours bien rire ce genre d'assertion. Existe-t-il en France un recensement type INSEE des hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes (HSH en termes épidémiologiques) ? Car en outre limiter la réflexion aux seuls "homosexuels" est une vision bien désuète d'une société où comme l'a montré Alfred Kinsey autour de 1950, entre "l'exclusivement hétérosexuel(le)" et "l'exclusivement homosexuel(le)" qui constituent deux cas extrêmes et très minoritaires de l'échelle de Kinsey, le spectre est très large entre les "Prédominance hétérosexuelle, expérience homosexuelle" et les "Prédominance homosexuelle, expérience hétérosexuelle".

En fin de compte, c'est toute la population qu'il faudrait interdire de don du sang pour obtenir un risque zéro si l'on ne s'en tient qu'aux pratiques sexuelles ;) .

Écrit par : prof | 26/06/2012

Cher prof,

Je veux dire que le pourcentage d'homosexuels hommes est réduit. Par ailleurs, l'établissement français du sang opère régulièrement des études sur leurs donneurs, la fréquence de la présence de maladies infectieuses (pas que le sida, loin delà!), les pratiques sexuelles, les voyages en Afrique, les tatouages, les maladies, etc. Donc ces statistiques, concernant les donneurs de sang, existent.

Ce sont ces études qui les amènent à refuser les dons du sang de certaines catégories de la population. Dont, effectivement, les homosexuels hommes.

Bien sûr, rien ne vous empêche d'affirmer que ce sont de simples préjugés qui amènent ces conseils de médecins et de scientifiques à exclure du don du sang telle ou telle catégorie. J'ai la faiblesse de penser que ces médecins, qui révisent d'ailleurs régulièrement leur stratégie de dons du sang, sont des gens de bonne volonté qui n'excluent pas pour le plaisir d'exclure.

Vous me parler de risque zéro. Effectivement, le risque zéro n'existe pas. Mais ça n'empêche pas de choisir la politique du risque minimum!

Didier Specq

Écrit par : didier specq | 27/06/2012

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