11/11/2012

Rapports contrariés avec la justice

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La gestion par les politiques de leurs rapports avec la justice m'étonnera toujours.

Comme chacun sait, à gauche, on est pour l'indépendance de la justice et on était scandalisé des prétentions de Nicolas Sarkozy quand l'ex-président de la République a voulu supprimer les juges d'instruction. Bien sûr, quelque temps plus tard, on vient au pouvoir et...

Et l'on accorde comme Cécile Duflot une interview au Journal du Dimanche (édition de ce jour). La dernière question nous intéresse beaucoup car elle est consacrée justement à une question juridique: la mise en examen récente de Martine Aubry par une juge d'instruction parisienne pour "homicides involontaires" dans l'affaire de l'amiante.

Inutile de dire que cette mise en examen très tardive par rapport aux faits nous étonne beaucoup. Mais, en même temps, on peut avoir la faiblesse de penser que, peut-être, la juge d'instruction parisienne possède dans son dossier des éléments tangibles lui permettant de soupçonner d'éventuels "homicides involontaires". Qui vivra verra ce qu'il adviendra de cette instruction.

Question du JDD: "Que vous inspire le sort de Martine Aubry dans l'affaire de l'amiante?"

Nous allons évoquer chaque phrase de la réponse car chacune d'elles nous étonne.

Première phrase de Cécile Duflot: "Je comprends la colère de Martine Aubry, je connais son engagement en faveur des victimes, c'est un moment très douloureux pour elle". Cette solidarité est tout à fait estimable mais ce renvoi vers les victimes nous étonne quand même. Le boulot de la justice ne consiste pas simplement à s'occuper des victimes. Ne serait-ce que parce qu'on sait bien qu'on ne reviendra pas à la situation antérieure même en accordant d'énormes dommages et intérêts: les vies blessées ou perdues, ça ne se répare pas. Le boulot de la justice, c'est aussi de retrouver, si possible, pourquoi ces souffrances ont été imposées et si elles étaient éventuellement évitables.

Deuxième phrase de Cécile Duflot: "Semer le trouble sur la réalité de cette histoire n'est pas la bonne manière de rendre justice aux victimes". Ah, bon, la juge d'instruction a pour but de semer le trouble sur cette histoire? Ce n'est quand même pas ça que Cécile Duflot veut dire! Ou alors, il faudrait au moins tenter de le démontrer.

Troisième phrase: "Il faut faire toute la vérité sur le scandale de l'amiante". Alors, là, on ne comprend plus! On croyait justement que c'était le but de l'instruction judiciaire. A moins, bien sûr, que Cécile Duflot sache déjà tout de cette affaire.

Quatrième phrase: "Mais dire la vérité, ce n'est pas mettre en examen des dizaines de personnes en les jetant à la vindicte populaire". C'est une étrange déclaration en vérité. Dans l'affaire de l'amiante, comme dans l'affaire du sang contaminé, comme dans de nombreux dossiers de pollution, il peut y avoir des dizaines de responsables et donc le magistrat instructeur est logiquement fondé à opérer des dizaines de mises en examen d'éventuels responsables. Comment faire autrement? On appréciera bien sûr le "en les jetant à la vindicte populaire". Le peuple, pour beaucoup de nos élus, c'est curieusement toujours un peu suspect. Ajoutons que nous n'avons pas vu pour l'instant beaucoup de "vindicte populaire" dans cette affaire. Et, d'ailleurs, Martine Aubry a plutôt enregistré des messages de soutien. Les juges d'instruction apprécieront en tous cas d'apprendre que mettre en examen, c'est "jeter à la vindicte populaire". Ou alors il s'agit précisément de cette juge d'instruction parisienne qui ne conviendrait pas à Cécile Duflot?

Cinquième et dernière phrase: "Faire la vérité, c'est aussi dire que certaines entreprises responsables de ce scandale sont aujourd'hui celles qui gagnent de l'argent sur le marché du désamiantage". Bravo! C'est la faute aux patrons! La juge d'instruction parisienne va sûrement interroger Cécile Duflot pour qu'elle lui donne les noms de ces "certaines" entreprises qui seraient responsables et qui se font encore du beurre aujourd'hui dans le désamiantage. Peut-être que la juge ne les connaît pas. Mais la ministre verte n'a pas été jusqu'à donner les noms quand même.

Le JDD, pour rire, aurait pu poser une dernière question: "Vous êtes bien sûr pour l'indépendance de la justice?"

Didier Specq

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