16/04/2013
Accrochée au treuil d'un hélicoptère
Tiens! Ce soir, au journal télévisé, France 2 a franchi une borne. Une borne relative à la décence commune.
C'est l'histoire d'une jeune femme en maillot de bain qui entre dans l'eau parce qu'il fait beau sur la plage. La scène se passe à Lacanau, la place n'est pas surveillée par les CRS, les vagues et le courant emportent la jeune femme trop loin et elle meurt noyée. Cependant, nous dit lundi soir France 3, un hélicoptère de secouristes arrive à sortir de l'eau la jeune femme en triste état. Elle n'est pas encore morte, elle décédera à l'hôpital.
C'est ce que dit la voix "off" qui commente la photo de la dame, prise de loin, accrochée au treuil de l'hélico. On imagine les proches de la victime qui découvrent à la télé ce cliché de leur parente très récemment noyée.
Un peu plus tard, au journal de France 2, c'est la même photo qui est montrée. Cette fois, on nous explique que la dame est remontée déjà morte. On imagine les proches de la victime qui découvrent à la télé le cliché du cadavre de leur parente.
Une limite a été franchie: jusqu'ici, à ma connaissance, on ne montrait jamais la photo d'un cadavre à l'écran. Certes d'un cadavre français d'une personne décédée en France. On avait l'habitude, plus on s'éloignait des frontières, de montrer des cadavres au journal de 20 h. On voyait même quelquefois des cadavres de soldats français en opération sous des cieux lointains. Mais, sauf parfois plus tard dans les documentaires, on ne montrait pas le corps de la victime d'un fait-divers à la télé. Les journaux respectent la même règle non-écrite. Au moins, les proches et les enfants des proches ne découvraient pas brusquement ces clichés au journal télévisé.
Reste à savoir si c'est répréhensible. Là, c'est complexe. Un article du code civil protège certes les dépouilles mortelles. Mais rien à voir avec ce qui nous occupe. Des articles du code pénal protègent les monuments funéraires et les morts eux-mêmes. Il existe même une circonstance aggravante si l'atteinte à "l'intégrité" du cadavre ou au monument aux morts est suscitée par la haine raciale (articles 225-17 et suivants).
Le vol systématique de fleurs ou d'ornements sur les tombes, un cercueil ouvert, des ossements éparpillés, y compris pour de très vieilles tombes.
Mais une photo passée à la télé, ça n'est tout de même pas une atteinte à l'intégrité des cadavres.
Reste le "droit à l'image". Là, la jurisprudence est claire: toute personne "individualisée" doit donner au moins implicitement son consentement à la prise de vue. La jurisprudence a ajouté que cette protection de la personne continue après la mort de la personne. Impossible évidemment de prendre une photo d'un mort dans une enceinte privée mais impossible également de prendre la photo d'un mort en public. Ainsi Paris-Match a été condamné pour avoir publié la photo du préfet Erignac, sur le sol, tout juste assassiné.
Si, comme le dit France 3, cette jeune femme n'était pas encore morte quand elle a été photographiée, son image à la télé pourrait être jugée illégale car elle n'a pu donner son consentement. Si, comme le dit France 2, cette jeune femme était déjà morte, même chose...
Bien sûr, rien ne dit que les proches de cette jeune femme vont dire quelque chose. Cela ne la fera pas, comme on dit, "revenir". Il n'empêche qu'une borne a été franchie sur le service public.
Didier Specq
(merci aux contributeurs sur Facebook).
00:54 Publié dans Justice | Lien permanent | Commentaires (13)
Commentaires
Effectivement, monsieur, cette image m'a choquée, et interpelée: nous sommes absolument dans l'ère du grand voyeurisme qu'on nous impose comme une évidence contemporaine acceptée...
Écrit par : Alexandrine | 16/04/2013
Le procédé est moralement condamnable, entièrement d'accord. Mais je ne suis pas convaincu qu'il le soit juridiquement, le droit à l'image s'effaçant devant le droit à l'information. En la matière, j'ai peur que l'on ne puisse s'en remettre qu'à la conscience des journalistes.
Écrit par : Janus | 16/04/2013
Chère Alexandrine, cher Janus
Je vous remercie de vos commentaires. Juridiquement (si l'on considère la jurisprudence Erignac), le "droit à l'information" doit s'effacer devant le droit à l'image. D'ailleurs, le contenu de l'information journalistique était bien plus importante dans le cas de l'assassinat d'un préfet à Bastia. Là, après tout, dans l'histoire de Lacanau, c'est d'une noyade hélas banale dont il s'agit.
D'une certaine façon, c'est un peu comme si les journalistes photographes de la presse régionale publiaient les photos des accidentés de la route plutôt que la tôle froissée des autos.
Amicalement, D.S.
Écrit par : didier specq | 16/04/2013
hum.... les mots comme les images sont à manier avec précaution. Peut on cher monsieur dire d'un tel accident qu'il est ...Banal, même s'il s'agit d'user d'un style "journalistique"?
Écrit par : alexandrine | 16/04/2013
Chère Alexandrine,
Je voulais dire que cet accident n'a rien d'historique. Alors que l'image du préfet Erignac assassiné pouvait prétendre être une illustration d'un fait incontournable. La noyade est, hélas, une mort affreuse mais nullement historique. On n'a donc pas "besoin" de montrer le corps de cette jeune femme morte au agonisante.
Amicalement. DS.
Écrit par : didier specq | 16/04/2013
Nous sommes donc bien d'accord, que ce soit envers les images ou dans les mots ,une seule règle applicable :le respect.
merci
Écrit par : alexandrine | 16/04/2013
La jurisprudence de la Cour d'appel sur l'affaire Erignac ne me semble pas pertinente, car en l'espèce le but de la photo n'était pas d'illustrer le propos mais bien d'identifier la victime. La Cour de cassation a depuis nuancé cette position. Ici, l'image sert à illustrer le fait divers et ne me semble pas attaquable de ce point de vue.
Pour ma part, je m'interroge plus sur l'intérêt d'illustrer ce fait divers. Si la vidéo n'avait pas été en possession de la rédaction, le sujet aurait il été abordé ? Et si oui, ne pouvait il donc pas être abordé sans le support de l'image ? De mon point de vue, le droit n'a pas vocation à remplacer la déontologie journalistique, et j'ose espérer que les journalistes n'en ont pas besoin.
A plaisir de vous lire.
Écrit par : Janus | 17/04/2013
Cher Janus,
Vous posez des problèmes complexes. Sans vouloir être complet, deux ou trois remarques.
D'abord la déontologie des journalistes existe mais, de plus en plus, le journaliste est soumis à la concurrence la plus brutale. Un CDD isolé d'un petit média isolé peut-il résister à la tentation de "faire du clic" en publiant sur un site quelconque une vidéo contestable? Surtout si son patron lui demande?
Reste donc quand même le droit qui sert, disons, de béquille légale à la déontologie.
Enfin, de plus en plus, de telles vidéos parviennent aux journalistes car elles peuvent désormais être prises par n'importe qui avec un simple téléphone portable.
Amicalement, DS.
Écrit par : didier specq | 17/04/2013
Le droit doit servir de cadre, nous sommes d'accord. Mais il reste, dans ce cadre, un espace de liberté dans lequel le journaliste est seul maître. Je préférerai toujours la législation qui fait confiance aux médias à celle qui les prive de liberté.
Dans ce fait divers, l'image n'est pas choquante, à part pour les proches de la victime. Il s'agirait d'un fait majeure, je pense que la question de sa diffusion ne se poserait pas (l'attentat de Boston a été illustré d'images bien plus terribles). Mais nous parlons d'un fait divers. Et nous ne parlons pas d'un obscur site internet, mais du JT.
Je ne suis pas dupe. L'image a été diffusé parce qu'elle est vendeuse, aussi triste que ce soit. Et le JT est soumis à la concurrence d'internet. Une rédaction a donc jugé pertinent de diffuser ces images. Beaucoup de questions se posent en effet, sur le choix de l'information, sur le service public et la définition de ses missions, sur la société et les informations qui font recettes... Je ne prétendrais pas connaitre les réponses, et ce n'est pas le lieu pour en débattre.
Mais je me permet de citer Coluche (de mémoire) pour finir : "Dire qu'il suffirait d'arrêter d'acheter pour que ça ne se vende plus ! Vous n'êtes pas raisonnables..."
Merci pour cet échange.
Au plaisir de vous lire.
Écrit par : Janus | 18/04/2013
Cher Janus,
Une petite remarque: aux USA, on montre en boucle les images terribles d'un attentat, comme celui de Boston par exemple, mais on ne montre jamais un cadavre. Je ne dis pas que c'est mieux ou pire mais je veux simplement souligner que, en général, il existe une sorte de cordon sanitaire moral autour de la dépouille mortelle.
D.S.
Écrit par : didier specq | 18/04/2013
J'ignorais que c'était le cas. Mais il s'agit alors d'une ligne déontologique, sûrement pas d'un cadre légal. Quand au bien fondé d'une telle pratique, je suis partagé... Une image choquante peut avoir plus d'effet que bien des discours. Les campagnes de sécurité routières s'en sont fait une spécialité, et elles me semblent efficace. Mais l'objectif de l'information diffère, dans le sens où elle ne cherche pas à convaincre. Face à ce dilemme, la meilleure solution n'est elle pas de laisser la liberté au journaliste de choquer si c'est nécessaire ?
Quoi qu'il en soit, je crois que nous nous rejoindrons sur un point : il n'y avait aucune nécessité de choquer pour relater ce fait divers.
Écrit par : Janus | 18/04/2013
Pour info, la règle de priorité en matière de d'exploitation d'une image par la presse est la suivante :
1- Il faut l'autorisation de la personne pour exploiter son image
2- sauf si l'image est utilisée dans un but d'information et d'actualité
3- cette exception bénéficiant à la presse disparaissant en cas d'atteinte à la dignité humaine (jurisprudence Erignac, attentat du RER B, Ilan Halimi...).
Écrit par : Maître INTHE | 26/04/2013
Cher Maître Inthe,
Je suis assez d'accord avec votre commentaire. Il me semble que, dans le cas de cette femme noyée, il existe une atteinte à la dignité humaine.
Amicalement,
DS
Écrit par : didier specq | 27/04/2013
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