Péripéties judiciaires

Au départ, c'est une proposition du Front de Gauche. Le rapporteur de la proposition, le député Alfred Marie Jeanne, a expliqué que le mot "race", "ce concept aberrant, ayant servi de fondement aux pires idéologies, n'a pas sa place dans notre ordre juridique". Rappelons cependant que ce terme "race" dans la législation ne signifie pas que les lois estiment insidieusement que les races existent. Les lois, du moins celles qui parlent de race, s'occupent justement de combattre le racisme et ses diverses manifestations.

L'objection n'est d'ailleurs pas ignorée des députés puisque ceux-ci ont voté un texte qui ajoute aussitôt que "la République combat le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie; elle ne reconnaît l'existence d'aucune prétendue race". Très bien, bel effort. Mais...

Bien sûr, on peut assurer qu'employer le mot "race" donne une certaine légitimité aux racistes. Toutefois, force est de constater que, dans les textes fondamentaux comme la constitution et les lois, ce terme est toujours employé sur le mode de la dénégation: il s'agit toujours de combattre le racisme, les appels au racisme, la discrimination fondée entre autres sur des critères raciaux, etc.

Par ailleurs, le terme "race" figure dans la constitution, que ne peuvent modifier les députés en dehors d'un congrès avec une majorité des deux tiers. Et ce terme figure également dans le droit français par le biais de la signature de traités européens qui usent de ce terme et s'imposent au droit français. Autant dire, pour être clair, que cette loi votée en vitesse va revenir à la vitesse d'un boomerang dans le nez des députés.

Ainsi donc, le terme "race" devrait disparaître des lois qui combattent la discrimination fondée sur "le sexe, la religion, l'orientation sexuelle, la race, le handicap". Et, pour dire au fond la même chose, on emploiera les termes "ethnie" ou "origine". Où est le progrès? Pas si net.

Avec le sens du résumé arbitraire qui caractérise l'époque, la "bien pensance" va nous expliquer en boucle que "race" est un terme affreux qui se base sur des prétendues considérations scientifiques complétement dépassées. Alors que "ethnie", c'est plus cool, plus culturel.

D'abord, les racistes ont rarement prétendu que les différences raciales étaient causées purement par des critères physiques. Ils ont bien souvent ajouté des critères culturels, religieux, traditionnels, etc. Bref, la "race", y compris pour les racistes, n'est pas purement physique.

On peut s'étonner d'ailleurs que le terme "ethnie", soigneusement mis en scène durant la colonisation pour distinguer et différencier des populations, retrouve indirectement une sorte de légitimité chez certains anti-racistes militants.

Enfin, qu'on le veuille ou non, il existe des groupes humains qui possèdent des caractéristiques physiques communes: la dominance de certains groupes sanguins, la plus ou moins grande importante prise par certaines maladies, la résistance globale au froid, les tailles moyennes... A tel point que les scientifiques, très longtemps après le déplacement effectif des populations, sont capables, en étudiant la fréquence de certaines caractéristiques (sanguines par exemple), de dire d'où vient globalement telle ou telle population actuelle. Dire que les différences entre groupes humains ne sont jamais physiques ou génétiques, c'est s'avancer beaucoup, beaucoup, beaucoup.

N'assiste-t-on pas à un retour inattendu d'une certaine forme de "religieux" au sens magique du terme? Comme, moralement parlant, on n'aime pas les races et ceux qui utilisent ce concept, on va jusqu'à supprimer le mot dans la législation alors que ce terme n'existe dans les lois que pour combattre le racisme...

Didier Specq